11 septembre 2011

La longue grève des caissières d’Albertville contre le travail dominical obligatoire



Info CGT


Gagner plus à quel prix ?

Elles tiennent bon depuis deux ans. Six caissières d’un supermarché ED-Dia à Albertville, en Savoie, ont décidé de se battre contre le travail dominical que leur direction veut leur imposer. Tous les dimanches, sur le parking du supermarché, soutenues par un prêtre ouvrier, des consommateurs ou le maire de la ville, elles défient ceux qui voudraient les voir rentrer dans le rang. Reportage auprès de ces femmes exemplaires, qui vont fêter leur 100e dimanche de grève.

Malgré les vacances, nous sommes encore une quarantaine à être présents ce dimanche matin pour montrer que notre détermination ne faiblit pas. On attend la rentrée pour impulser une nouvelle dynamique. » 28 août 2011. 96e dimanche chômé pour les six caissières du supermarché ED-Dia (ex-groupe Carrefour [1]) d’Albertville. Bientôt deux ans qu’elles tiennent le piquet de grève chaque dimanche devant le magasin où elles travaillent la semaine. Un banal parking d’une petite zone commerciale de province, au milieu des pompes à essence et des Caddies, qui se transforme alors en lieu de résistance à la société marchande. « On est toujours là et on ne lâche rien », répète chaque dimanche Corinne, l’une des six caissières en lutte.

Ras-le-bol de la surconsommation
Opposée au travail dominical facilité par la loi du 10 août 2009, Corinne revendique, avec ses cinq collègues de travail, le droit de vivre ses dimanches en famille. Comme tout le monde, avec ses gamins, son mari et ses amis. Car, selon elle, le travail dominical n’a pas été instauré sur la base du volontariat. Il a été imposé par la direction. « Je suis mère célibataire, j’ai une petite fille, et le dimanche je préfère être avec elle qu’au travail. En plus, le prix de la nounou me coûterait plus cher que ce que je gagnerais », explique Valérie. Comme on ne leur a pas donné le choix, elles décident de se mettre en grève. « Au début, même le directeur du magasin était avec nous », se souvient Corinne.

« On se bat aussi pour les générations futures », ajoute Marie-Anne. Toutes les six, elles ne veulent pas entendre parler du travail du dimanche, même pour une hypothétique « augmentation du pouvoir d’achat ». « La consommation, la surconsommation, y en ras-le-bol ! Il faut préserver notre planète, alors préservons-là. Les sous, de toute manière, on n’en a pas à gogo. Et le dimanche, on a autre chose à faire ensemble que d’aller travailler ou d’aller en courses. Nous aussi, on a des familles et on aimerait bien pouvoir en profiter », s’emporte Corinne.

Convaincre les consommateurs
Corinne, Peggy, Marie-Anne, Agnès et les deux Valérie ont donc décidé de se serrer les coudes, devenues bien malgré elles un symbole de résistance à l’intensification du travail. « Nous n’étions pas vraiment des copines, juste des collègues. Et puis cette lutte, au fil des semaines, nous a soudées », se souvient Peggy. Dans leur boulot, elles continuent à se donner à fond, pendant la semaine. « Pour tout juste 1.000 euros de salaire, pas de quoi faire des folies », ironise Valérie. Et Peggy de poursuivre : « Le samedi soir, on prépare le magasin pour ceux qui travaillent le dimanche. On ne se tourne pas les pouces, on fait le ménage, pour que l’équipe qui travaille le dimanche n’arrive pas dans un magasin poubelle. » « On respecte les gens qui travaillent le dimanche. On dit juste que nous, on aimerait avoir le droit de choisir », précise Corinne.

Pour y arriver, une stratégie : inciter les consommateurs à ne pas faire leurs courses ce jour-là. Pendant deux ans, elles sont allées à leur rencontre, pour tenter de les convaincre, un à un. Certains ont rebroussé chemin. D’autres ont apporté leur soutien, partageant presque leurs revendications... tout en continuant parfois à venir faire leurs courses le dimanche : « Je les comprends. Si je travaillais dans le commerce, je n’aurais pas envie de bosser le dimanche matin. Mais voilà, on vient quand même faire nos courses, parce qu’on n’a pas 36.000 solutions. » Les consommateurs ont toujours une bonne raison pour justifier leur présence.

Sur le bout de bitume coincé entre deux supermarchés, elles ont pourtant reçu de nombreux soutiens. D’abord les centaines d’anonymes présents chaque dimanche depuis deux ans, les pieds dans l’eau ou dans la neige. « Cette solidarité, cela nous aide à tenir », confie Marie-Anne. Parmi ces anonymes, il y a Paulette. « Ce que font les filles aujourd’hui, cela dépasse le cadre de leur travail. C’est la défense de la vie familiale, de la place de la femme... Car ce sont surtout les femmes qui sont concernées par le travail du dimanche. » L’archevêque de Chambéry, Mgr Ballot, s’est lui aussi déplacé. Impressionné par la persévérance des caissières, il est venu, sous une pluie battante, les soutenir à l’heure de la messe. Elles n’en étaient alors qu’à leur 29e semaine de lutte. « Le dimanche est un jour où l’on doit, quand c’est possible, s’arrêter. Vivre comme on le souhaite. S’arrêter, cela a un sens très fort, cela veut dire que je ne suis pas le maître absolu du monde et que je ne dois pas l’exploiter sans limites », insiste l’homme d’Église au micro de la sono bricolée de la CGT.

Interdire l’ouverture des grandes surfaces le dimanche
Didier Magnien, président de l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, les a rencontrées en janvier dernier. « Je trouve ce combat magnifique et exemplaire. » Il décide alors de les inviter quatre mois plus tard au rassemblement « Paroles de résistance », aux côtés de Stéphane Hessel, sur le plateau des Glières. « Elles y ont toute leur place. Elles sont dans une résistance d’aujourd’hui pour sauver des acquis sociaux : le repos du dimanche. Comme tous ceux qui luttent actuellement, qui désobéissent, qui résistent pour tenter de sauver les acquis du programme du Conseil national de la Résistance. »

Avec l’ensemble de son conseil municipal, le maire d’Albertville, Philippe Masure (divers gauche), soutient également leur combat. « Depuis le début, nous sommes à leur côté », aime-t-il rappeler. Il a même rencontré la direction générale d’ED-Dia, pour essayer de trouver une solution. Mais elle « n’a rien voulu savoir ». Il n’a pas eu plus de chance avec la direction générale du groupe à Paris. « Je leur ai recommandé de se méfier du caractère des Savoyards, qui sont des résistants, des gens calmes, mais extrêmement déterminés. Ils n’ont pas voulu m’écouter. » Philippe Masure ne va pour autant lâcher les caissières. Après plusieurs et vaines tentatives de négociation en 2010, il opte pour une nouvelle stratégie : obtenir un arrêté préfectoral interdisant l’ouverture des grandes surfaces le dimanche. Mais là encore, impossible de mettre tous les protagonistes autour d’une même table.

Quand la direction préfère harceler que négocier
Valérie a une idée toute simple pour mettre un terme à ce conflit social : « On ne nous oblige plus à travailler le dimanche, et c’est terminé. » En mars 2010, la direction refuse d’ouvrir des négociations et se tourne vers la justice pour mettre un terme aux manifestations. Elle obtient une ordonnance du tribunal de grande instance demandant « le libre accès au magasin, au parking et aux dépendances ». Dès le dimanche suivant, un huissier vient vérifier qu’il n’y ait pas de violation des termes de l’ordonnance. Nos six caissières et leurs soutiens choisissent de ne plus bloquer l’accès au magasin, tout en continuant de manifester.

Au début de l’été, estimant que ces manifestations portent encore préjudice à l’activité du magasin, la direction d’ED décide d’assigner ses six salariées pour occupation illégale du parking et entrave à la liberté du commerce. Le 17 août, elles se retrouvent devant le juge d’exécution du tribunal d’Albertville. 200 personnes sont là, dans la salle, pour les encourager. Plutôt inhabituel dans ce petit tribunal. En septembre, la justice donne raison aux six salariées d’ED. « Un bel encouragement pour ce combat exceptionnel dans sa longévité », souligne Fabienne, responsable locale de la CGT-Commerce. Pour elle aussi, le parking du supermarché est devenu le rendez-vous du dimanche matin depuis 2009.

Une solution : changer la loi
La direction d’ED-Dia décide de faire appel de cette décision. Ce qui se semble pas inquiéter les inflexibles grévistes. « Maintenant, on est sereines parce que de toute façon on va gagner », assure Valérie. En mars, elles se retrouvent à nouveau toutes les six sur le banc des accusés, au palais de justice de Chambéry. Et le juge leur donne une nouvelle fois raison. Une bataille est gagnée, reste à faire changer la loi. Tel est leur nouvel objectif.

Elles contactent l’inspection du travail. Épaulées par leur collectif de soutien, elles commencent alors à potasser les textes de droits. « On va modifier le code du travail en ajoutant un alinéa supplémentaire à l’article L. 3132-13. C’est cet alinéa qui autorise le travail dominical jusqu’à 13 heures dans les commerces alimentaires », explique Corinne. Parallèlement, elles organisent des réunions publiques. Elles écrivent au président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale pour l’informer de leur démarche. Avec ses copines, Corinne interpelle ensuite le ministre du Travail, Xavier Darcos, via une question parlementaire du sénateur socialiste savoyard, Thierry Repentin. Puis, lui écrit directement... pour finalement décrocher une entrevue d’une heure avec Bruno Dupuis, le conseiller du ministre en charge de la Santé et des Conditions de travail, à la préfecture de Chambéry. « On nous a expliqué que rien ne bougera avant 2012 et qu’en l’état actuel il n’y a aucun moyen judiciaire de contraindre la direction du supermarché à faire respecter le droit au repos dominical », résume Fabienne, un brin déçue.

« On ne fera jamais demi-tour »
« C’est bien, ce qu’elles font, parce qu’elles ne le font pas que pour elles, mais pour la profession », juge Etelvina, également caissière dans un supermarché ED-Dia. Elle n’a pas voulu du travail dominical qu’a tenté de lui imposer sa direction au printemps 2009. À Oyonnax (Ain), trois caissières sur huit refusent de travailler le dimanche. « Nous avons envoyé un courrier à la direction pour leur signifier que nous n’étions pas volontaires. Résultat, ils nous ont licenciées pour ’’insubordination et refus de se plier au planning’’ », explique-t-elle sur le parking. Avec ses deux collègues, elle n’hésite pas à faire 200 km le dimanche matin. Même en plein hiver. « La cause pour laquelle elles se battent méritent bien quelques sacrifices. Ce travail du dimanche, c’est quasiment une lutte féministe. Elles le font pour toutes les femmes à qui on n’a pas laissé le choix de travailler ou non le dimanche. » Elle a aussi décidé de ne pas se laisser faire, et d’attaquer son employeur aux prud’hommes. La décision est attendue en octobre.

Peggy se met à rêver : « La parité a bien été déclenchée par des ouvrières de chez Ford. Alors pourquoi pas le droit au repos dominical par les "guerrières du dimanche" d’Albertville ? » Mais les six caissières d’ED-Dia pourront-elles faire plier les grands patrons ? Bernard, le prêtre ouvrier à la tête de l’union locale CGT, véritable cheville ouvrière de la mobilisation, veut encore y croire. Entre deux prêches anticapitalistes, il invite à poursuivre le combat. Les caissières d’Albertville fêteront leur 100e dimanche de grève fin septembre. Elles n’ont pas encore gagné. Ni perdu. « De toute façon, on ne fera jamais demi-tour », promet Valérie. Plus que jamais, la guerre du dimanche se poursuit sur le front d’un parking savoyard.

737 maîtres du monde contrôlent 80 % de la valeur des entreprises mondiales




Une étude d’économistes et de statisticiens, publiée en Suisse cet été, met en lumière les interconnexions entre les multinationales mondiales. Et révèle qu’un petit groupe d’acteurs économiques – sociétés financières ou groupes industriels – domine la grande majorité du capital de dizaines de milliers d’entreprises à travers le monde.

Leur étude, à la frontière de l’économie, de la finance, des mathématiques et de la statistique, fait froid dans le dos. Trois jeunes chercheurs de l’Institut fédéral de technologie de Zurich [1] ont scruté les interactions financières entre multinationales du monde entier. Leur travail – « The network of global corporate control » (le réseau de domination globale des multinationales) – porte sur un panel de 43.000 groupes (« transnational corporations ») sélectionnés dans la liste de l’OCDE. Ils ont mis en lumière les interconnexions financières complexes entre ces « entités » économiques : part du capital détenu, y compris dans les filiales ou les holdings, prise de participation croisée, participation indirecte au capital…

Résultat : 80 % de la valeur de l’ensemble des 43.000 multinationales étudiées est contrôlé par 737 « entités » : des banques, des compagnies d’assurances ou des grands groupes industriels. Le monopole de la possession du capital ne s’arrête pas là. « Par un réseau complexe de prises de participation », 147 multinationales, tout en se contrôlant elles-mêmes entre elles, possèdent 40 % de la valeur économique et financière de toutes les multinationales du monde entier.

Une super entité de 50 grands détenteurs de capitaux

Enfin, au sein de ce groupe de 147 multinationales, 50 grands détenteurs de capital forment ce que les auteurs appellent une « super entité ». On y retrouve principalement des banques : la britannique Barclays en tête, ainsi que les « stars » de Wall Street (JP Morgan, Merrill Lynch, Goldman Sachs, Morgan Stanley…). Mais aussi des assureurs et ds groupes bancaires français : Axa, Natixis, Société générale, le groupe Banque populaire-Caisse d’épargne ou BNP-Paribas. Les principaux clients des hedge fund et autres portefeuilles de placements gérés par ces institutions sont donc, mécaniquement, les maîtres du monde.

Cette concentration pose de sérieuses questions. Pour les auteurs, « un réseau financier densément connecté devient très sensible au risque systémique ». Quelques-uns flanchent parmi cette « super entité », et c’est le monde qui tremble, comme la crise des subprimes l’a prouvé. D’autre part, les auteurs soulèvent le problème des graves conséquences sociales que pose une telle concentration. Qu’une poignée de fonds d’investissement et de détenteurs de capital, situés au cœur de ces interconnexions, décident, via les assemblées générales d’actionnaires ou leur présence au sein des conseils d’administration, d’imposer des restructurations dans les entreprises qu’ils contrôlent… et les effets pourraient être dévastateurs. Enfin, quelle influence pourraient-ils exercer sur les États et les politiques publiques s’ils adoptent une stratégie commune ? La réponse se trouve probablement dans la brûlante actualité des plans d’austérité.

Les salariés d'Action logement se mobilise le 4 juillet pour les salaires !  La CGT Action Logement vous convie à une petite pause rev...