Les syndicats appellent à se mobiliser le 19 janvier
Il faut une bonne dose d'autosatisfaction et d'aveuglement idéologique pour voir dans le projet de contre-réforme des retraites « un projet de justice, porteur de progrès social », comme l'a présenté mardi 10 janvier 2023 la première ministre Elisabeth Borne, flanquée du ministre de l'économie Bruno Le Maire, du ministre du travail Olivier Dussopt et du ministre de la fonction publique Stanislas Guerini.
Travailler deux ans de plus
Sans surprise, la cheffe du gouvernement a annoncé un report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans en 2030, conjugué à une accélération de la réforme Touraine pour atteindre les 43 ans de cotisations nécessaires à une retraite à taux plein en 2027 (la réforme Touraine fixait initialement ce cap à 2035, ndlr). « A compter du 1er septembre, l'âge légal de départ à la retraite sera relevé progressivement de trois mois par an, pour atteindre 64 ans en 2030. Nous serons donc à 63,3 ans à la fin du quinquennat. Parallèlement, nous n‘irons pas plus loin que les 43 ans de cotisations prévues par la réforme Touraine pour partir avec une retraite à taux plein, mais nous atteindrons cette cible plus vite en passant d'un trimestre par an », a annoncé Elisabeth Borne.
De (très) modestes contreparties
Pour compenser le fait que tous les salariés devront travailler deux ans de plus, le gouvernement met en avant le maintien d'un dispositif pour carrières longues, la prise en compte de la pénibilité, une pension minimale égale à 85% du smic, la mise en place d'un index seniors. Plus dans le détail, le gouvernement a annoncé que « le dispositif de carrières longues sera adapté pour qu'aucune personne ayant commencé à travailler tôt ne soit obligée de travailler plus de 44 ans. Ceux qui ont commencé avant 16 ans pourront partir dès 58 ans ; entre 16 et 18 ans à partir de 60 ans ; entre 18 et 20 ans à partir de 62 ans ». S'agissant de la « prévention de l'usure professionnelle », le gouvernement a annoncé que des seuils d'exposition seront abaissés pour permettre à plus de salariés de bénéficier du compte professionnel de prévention (C2P). C'est le cas du travail de nuit et du travail en équipes successives. « Nous allons créer un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle doté d'un milliard d'euros », a ajouté Elisabeth Borne.
Un plan d’économies à 17 milliards
Le gouvernement s'est aussi félicité de porter à 85% du Smic net, soit 1200 euros bruts par mois le montant du minimum de pension pour une carrière complète cotisée au Smic. « Une vie de travail doit apporter une retraite digne », selon Elisabeth Borne. Pour caresser le parti Républicain dans le sens du poil et s'assurer de son vote au Parlement, le gouvernement prévoit de prendre en compte les retraités actuels et de revaloriser les « pensions actuelles pour tous ceux qui ont une carrière complète au niveau du smic ».
A défaut d'un projet de réforme des retraites progressiste, le plan du gouvernement s'apparente à un plan d'économies des dépenses publiques. « La réforme annoncée apportera 17,7 milliards d'euros en 2030. Chaque euro économisé ira aux caisses de retraite », s'est félicité le ministre de l'économie Bruno Le Maire. Avec des accents Thatchériens, celui-ci a martelé qu'il n'y avait pas d'alternative et a repoussé toute augmentation de cotisations. Faisant référence à un déficit de 13 milliards, Bruno Le Maire a évoqué l'équilibre du régime des retraites qui « est menacé, c'est un fait, c'est un fait incontestable ».
Front syndical uni
S'il est un autre fait incontestable, c'est l'opposition unanime des syndicats de salariés, réunis dans la soirée du mardi 10 janvier à la bourse du travail de Paris. Dans une déclaration commune, les huit syndicats (CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC, Unsa, Solidaires, FSU) appellent à une première journée de mobilisation le 19 janvier. « Cette réforme va frapper de plein fouet l'ensemble des travailleurs et travailleuses, et plus particulièrement celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, dont l'espérance de vie est inférieure au reste de la population, et celles et ceux dont la pénibilité des métiers n'est pas reconnue. Elle va aggraver la précarité de celles et ceux n'étant déjà plus en emploi avant leur retraite, et renforcer les inégalités femmes-hommes », écrivent-ils.
Devant une nuée de micros, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez a exigé le retrait des deux mesures phares du report de l'âge de départ à la retraite et s’est dit prêt à discuter avec le gouvernement des sources de financement alternatives. « Travailler plus longtemps, ce n'est pas un progrès social, ça s'appelle une régression », a-t-il dénoncé. « Les carrières longues devront dorénavant travailler 44 ans, quel progrès », a ajouté Philippe Martinez. Pour Laurent Escure, secrétaire général de l'Unsa, « cette réforme est injuste et inutile. On touche à l'intimité des gens en faisant travailler tout le monde deux années de plus. C'est deux années de moins pour profiter de la vie, de ses parents vieillissants, de ses petits-enfants. Je regrette que le gouvernement opte pour une méthode aussi brutale ». Même tonalité pour Benoit Teste de la FSU, qui se félicite d'une « intersyndicale solide, forte et déterminée ». « Ces annonces sont d'une brutalité inouïe, avec des mesures compensatoires ridicules », a-t-il fustigé. Les syndicats espèrent que le 19 janvier soit le point de départ de la contestation. De son côté, le gouvernement va présenter son texte en conseil des ministres le 23 janvier, pour ensuite un débat parlementaire accéléré dans le cadre d'un projet de financement de la sécurité sociale rectificatif.