INFO : de GERARD FILOCHE INSPECTEUR DU TRAVAIL
Éternelle
histoire de l'arroseur arrosé ou comment on peut se faire liquider
quand on est liquidateur en chef
Pas facile le boulot de
DRH. Entre le marteau et l'enclume, entre les exigences de salariés
et celles des actionnaires. Ainsi le cas de Mme Durand : cela
faisait presque 15 ans qu'elle officiait dans cette entreprise
pharmaceutique d'origine familiale assez féroce avec son personnel,
1250 salariés.
Un siège hypercentralisé
avec 30 établissements sur tout le territoire : le CE, le CHSCT,
tout se tient à Paris. Mme Durand est grande prêtresse du
personnel, communicante, omniprésente, elle sait terroriser les
salariés juste ce qu'il faut avec demi-sourire et ton ferme.
L'esprit maison incarné, c'est elle. Naturellement, elle appelle
tous les salariés « mes collaborateurs ». Quand il faut changer
les horaires, adapter les postes de travail , mater le syndicat,
régler un conflit ou licencier, elle fait. En plein CHSCT, elle
rabroue le médecin du travail qui ose signaler devant l'inspecteur
du travail que dans une des annexes les équipes de conditionnement
font plus de 10heures de travail effectif par jour : « Ce n'est pas
votre rôle, docteur ! »
Oui, mais la société
connaît des vicissitudes, elle est reprise, rachetée encore. Deux
plans « sociaux » se succèdent, un premier de 150, un second de
80 suppressions d'emplois. Mme Durand les « exécute » sans états
d'âme, veillant à ne pas donner prise au syndicat, ni à
l'inspection, ni aux prud ' hommes. Le nouveau patron, lui, a des
méthodes américaines, il connaît rien au fonctionnement des CE,
commet des impairs, obligeant sa DRH à rattraper ses « gaffes »
juridiques.
Et c'est au tour de Mme
Durand de demander rendez- vous dans le bureau de l'inspecteur du
travail où elle s'effondre en larmes : « Je suis arrivée à 8
heures, Monsieur l'inspecteur, ils m'ont convoquée aussitôt et, en
2minutes,ils m'ont dit que j'étais licenciée. » « On n'est pas
d'accord avec la façon dont vous tenez le CE, nos désaccords sont
exprimés dans cette lettre, veuillez la signer, tous vos préavis et
droits seront payés, vous quittez-la maison à l'instant, vous
prenez vos affaires et vous partez. »
Mme Durand poursuit : «
J'étais suffoquée, j'ai eu du mal à rester digne.
Prendre mes affaires?
Mais les- quelles ? Tout est à moi ici. Tout, vous comprenez ? J'ai
choisi la couleur des moquettes, des murs, l'agencement des bureaux,
la place de chacun, c'est ma maison, mon entreprise, ma vie, j'y
passais 12 heures par jour, et en 2 minutes, comme ça, dehors, je
pars sans retour ? Je ne suis pas une oie blanche, Monsieur
l'inspecteur, moi aussi j'ai licencié des gens, mais je leur
parlais, je respectais les humains, du moins je le croyais, qu'est-ce
que vous me conseillez, Monsieur l'inspecteur ? » De comprendre,
enfin, le système dont vous étiez un des rouages.