Qui veut la peau du logement social
européen
Alors
que la crise économique se poursuit dans nombre de pays de l’UE et
que le marché du résidentiel est toujours aussi tendu dans les
grands centres urbains, le logement social ne s’est jamais aussi
mal porté. Marqué par les restrictions budgétaires initiées par
Bruxelles, il a disparu d’Europe du Sud et connaît de graves
difficultés au Royaume-Uni. De plus, la Commission européenne veut
imposer aux États membres une
définition restrictive de ce type d’habitat et le Conseil l’a
mis sous surveillance
Le
logement social est-il euro-compatible ? La question, a priori, ne se
pose pas. Le secteur du logement, au sens large, ne rentre pas dans
le champ de compétence de l’Union européenne. Il est de la
responsabilité exclusive des États membres et est traité à
l’échelon central, régional ou local.
Depuis
quelques années, pourtant, un mouvement de fond se fait jour au sein
des institutions européennes pour reconnaître au logement, en
particulier social, une place et un rôle positif au sein de l’UE.
Sous l’influence notamment de lobbies basés à Bruxelles et
représentant les organismes HLM, telle l’Union sociale pour
l’Habitat (USH) en France, le logement social est devenu un
instrument à part entière des politiques communautaires en matière
de cohésion économique, sociale et territoriale, ainsi que de lutte
contre le changement climatique pour un développement urbain
durable.
En
cette période de crise et de chômage de masse dans certains pays du
Vieux continent, il est aussi un puissant levier d’action
économique pour tirer vers le haut l’activité du secteur du
bâtiment, grand pourvoyeur d’emplois non délocalisables. Pour
toutes ces raisons, le logement social a été rendu éligible aux
fonds structurels (Feder et FSE), aux programmes d’action
communautaires (directive efficacité énergétique) et aux prêts de
la Banque européenne d’investissement (BEI) afin de venir en appui
des États membres dans la promotion du logement social pour les
domaines de la rénovation thermique, du renouvellement urbain et de
l’accès au logement des personnes défavorisées.
Disparition en Europe du Sud
La
reconnaissance de ce rôle joué par le logement social est
intervenue de manière éclatante le 11 juin 2013 avec l’adoption
par le Parlement européen du rapport sur le sujet présenté par
l’écologiste française Karima Delli (Groupe des Verts/Alliance
libre européenne). « En raison de la crise économique et sociale
actuelle, le marché est de moins en moins capable de répondre à
lui seul aux besoins de logements abordables, notamment dans les
zones urbaines à forte densité de population », insiste le
rapport.
En
adoptant ce texte, les députés ont reconnu le rôle du logement
social comme moyen de « lutter contre la pauvreté et promouvoir
l’inclusion et la cohésion sociale ». Sur le volet économique,
le rapport insiste sur le fait que « le logement social constitue un
levier de sortie de crise (…) l’occasion de créer des emplois
verts de qualité non délocalisables, via le développement de
filières vertes dans la construction et la rénovation de logement
».
Malgré
cette consécration, le logement social ne s’est jamais aussi mal
porté. En 2010-11, il permettait à 27 millions de ménages de se
loger,
en Italie, où
les organismes ont dû fusionner, tandis que les aides ont été
réduites au Royaume-Uni. »
À
l’inverse, le modèle français, qui fonctionne avec l’épargne
du livret
A
coll logement social hexagonal était à la limite d’être
considéré comme ringard », estime Laurent Ghekiere, directeur des
affaires européennes pour l’USH. « À présent, certains à la
Commission le regardent avec attention, tout comme les Suédois et
les Britanniques. Au Royaume-Uni, le logement social est très peu
aidé par l’État : le modèle de financement est celui d’un prêt
bancaire pour 60% du financement et de fonds publics pour 40%.
Résultat : presque plus aucun projet ne sort de terre. En Europe du
Sud, c’est pire, avec un logement social qui a carrément disparu.
Les systèmes quiecté par la Caisse des Dépôts, qui le redistribue
ensuite aux organismes HLM –
aboutissant
à un mécanisme financier déconnecté des banques – a bien
résisté. « Avant la crise débutée en 2007, le fonctionnaient
avec une logique financière n’ont pas survécu. »
L’hostilité
de la Commission
On
le voit, le logement social n’a jamais eu autant besoin d’aide et
la nécessité de le maintenir et le développer n’a jamais été
aussi grande que dans cette Europe des 28 qui connaît encore très
largement une crise économique, mais aussi une grave pénurie de
logements, en tout cas dans les centres urbains. Pourtant, et c’est
là le paradoxe, les nuages européens semblent s’amonceler depuis
quelques mois au-dessus de sa tête. Si une part des fonctionnaires
et des élus de l’UE sont favorables au logement social, il existe
aussi – parfois au sein d’une même institution – une volonté
sinon de le supprimer, du moins de le limiter au maximum. Et au
premier rang des accusés figure la Commission européenne, en tout
cas certains de ses fonctionnaires. Chantres du libéralisme –
idéologie qui constitue à tort ou à raison le socle de l’Europe
économique – ils voient dans le logement social un dévoiement des
sacro-saintes règles de la libre concurrence.
Une
analyse au demeurent parfaitement juste : en droit européen, le
logement social constitue un « service d’intérêt économique
général » (SIEG) qui échappe au cadre général. S’ils sont
soumis aux règles du marché intérieur et de la libre concurrence
lorsqu’ils ont une activité de nature économique, les organismes
HLM peuvent y déroger en qualité d’entreprises chargées
spécifiquement de la gestion du SIEG du logement social. Cet
équilibre nécessite de définir le champ d’intervention du
logement social. Or, la Commission européenne a affirmé en 2009 une
conception résiduelle (limité aux plus démunis) de celui-ci dans
le cadre de son « pouvoir de décision » en matière de contrôle
d’aides d’État dont bénéficie ce type d’habitat. Cette
définition a minima a été définie lors de l’examen de la
situation aux Pays-Bas, où le logement social est ouvert sans
plafond de revenus et accueille 34% des ménages. La Commission s’est
alors arrogé le droit de vérifier que le service public du logement
social dans ce pays était défini « en lien direct avec les
personnes défavorisées ». Dans le cas contraire, il ne peut être
qualifié de SIEG par un État membre, ce qui serait le cas dans les
Pays-Bas selon la Commission européenne.
Cette
conception exclusivement résiduelle du logement social est l’objet
d’un contentieux devant la justice européenne. Une affaire
pendante doit être jugée par le Tribunal de l’Union européenne à
la suite de la demande déposée par les Pays-Bas.
Pour
l’USH, cette prise de position de la Commission européenne est
inacceptable : « Elle ne reconnaît alors pas les missions de mixité
sociale et de diversité de l’habitat. La définition du champ
d’intervention du logement social en tant que service d’intérêt
général doit relever explicitement de la compétence des États
membres et non pas de la Commission européenne. Le Parlement doit
être le garant du respect de cette compétence. »
L’association
française se montre toutefois rassurante quant à la décision
finale : « La jurisprudence constante de la Cour de justice de l’UE
confère aux États membres la compétence discrétionnaire de
définir, organiser et financer le logement social en tant que SIEG,
sous réserve d’erreur manifeste qui est appréciée par la
Commission européenne. » L’USH estime toutefois nécessaire de se
mobiliser. Les syndicats européens se sont joints à la demande des
Pays-Bas, tandis que l’Autriche et le Danemark vont être
auditionnés par le Tribunal en juin, avant un jugement qui devrait
intervenir à la fin de l’automne. « Nous avons demandé aux
autorités françaises d’être également auditionnées. Un
jugement en faveur de la Commission aurait des conséquences graves
et pourrait « casser » le système du logement social en Europe. Le
Conseil et le Parlement devraient alors intervenir », estime Laurent
Ghekiere.
Le
Conseil complice de la Commission ?
Autre
sujet d’inquiétude pour les partisans du logement social : les «
recommandations-pays » du Conseil européen relatives aux marchés
du logement, au titre de la gouvernance économique, là aussi
établies sans codécision du Parlement. Ils exigent la suppression
des systèmes de régulation des loyers en Suède et aux Pays-Bas,
ainsi que la réduction des aides au logement au Royaume-Uni.
La
mise en place de ce pouvoir de recommandation du Conseil est
intervenue après l’éclatement des bulles immobilières
américaines et espagnoles à partir de 2007. Le renforcement de la
surveillance macro-économique de la zone euro a alors intégré un
volet « marchés immobiliers », tant du point de vue de l’évolution
des prix des logements que de celle de la dette privée des ménages.
Le Conseil a ainsi demandé à l’Espagne de renforcer son offre
locative, et donc à la Suède et aux Pays-Bas de la fluidifier en
supprimant le contrôle des loyers jugé trop strict pour la Suède,
ou en instaurant un loyer en fonction des revenus dans le parc social
aux Pays-Bas.
En
l’absence de mise en œuvre de ces recommandations, les États
membres sont passibles d’amendes. Les interventions du Conseil ont
déjà eu des conséquences : la Suède a décidé de supprimer les
aides d’État pour le logement social, et les Pays-Bas ont négocié
avec l’UE un plafond de revenus à 33 000 euros. Pour ces deux
pays, l’idée défendue par le Conseil est que l’importance trop
grande prise par le logement social aboutit, par ricochet, à une
surchauffe du marché du résidentiel privé et donc à une hausse
des loyers. « On peut également, derrière cette décision, deviner
le raisonnement libéral de la Commission, qui donne des orientations
au Conseil sur ces questions », indique Laurent Ghekiere.
Pour
le directeur des affaires européennes de l’USH, il ne faut
toutefois pas croire que la Commission dans son ensemble soit hostile
au
logement social. « C’est la DG concurrence qui est à l’origine
de la définition résiduelle, mais le commissaire actuel, Joaquín
Almunia, est plus mesuré sur cette question. Il déclare qu’il
n’est pas ministre du Logement et que c’est aux États membres de
décider de leur politique. Quant à la DG Marché et son
commissaire, Michel Barnier, elle est plutôt favorable à un système
à la française, qui va chercher directement les financements auprès
de l’épargne des Européens. Enfin, la DG Emploi et Énergie sont
favorables au logement social. Au final, tout se règle au collège
des commissaires ». L’Europe est un consensus, pour le logement
social comme pour le reste.
Plus
d’information avec le BEM, la lettre de la construction à
l’international