15 janvier 2023

Le plan du gouvernement pour éviter le 49.3 sur les retraites


L’exécutif, qui a utilisé à dix reprises cet article de la Constitution pour faire adopter sans vote les textes budgétaires, veut éviter d’y recourir cette fois-ci, de crainte d’alimenter la mobilisation sociale


A la fin de l’année 2022, après des journées interminables de négociations et des longues nuits de poker parlementaire, la majorité relative s’était laissé aller à un peu d’insouciance. En guise de cadeau de Noël, la première ministre avait reçu puis enfilé un maillot de l’équipe de France floqué d’un 49 devant et d’un 3 derrière. Un cadeau de son équipe gouvernementale, en référence aux dix 49.3 dégainés par Elisabeth Borne pour faire passer ses deux projets de loi budgétaires.

Quelques semaines plus tôt, des proches de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, lui avaient offert une bouteille de vin à l’étiquette explicite, là aussi : « Cuvée 49.3 ». Des blagues potaches pour détendre un peu l’atmosphère d’un début de quinquennat étouffant. Quelques moments de relâche aussitôt dénoncés par les oppositions. « La question n’est pas de savoir si Borne est supporter du 49.3 mais jusqu’à quand les Français vont supporter le 49.3 », avait tweeté Raquel Garrido, députée La France insoumise (LFI, Seine-Saint-Denis).

En ce début d’année 2023, l’ambiance s’est tout à coup refroidie. Et un vent de rigueur souffle dans les couloirs de l’Elysée, de Matignon et du Palais-Bourbon, particulièrement depuis la présentation du projet de réforme des retraites par Mme Borne, mardi 10 janvier. L’exécutif veut absolument éviter de donner l’impression de prendre les choses à la légère et de passer en force sur une thématique aussi sensible. Alors chaque déclaration est pesée, chaque geste mesuré. Avec un objectif : défendre le fond, désagréable, avec le recul de l’âge de départ à 64 ans, et rassurer sur la forme.

Mercredi 11 janvier, Emmanuel Macron a ainsi rappelé en conseil des ministres le caractère « indispensable et vital » de ce texte pour « préserver » le système, tout en insistant sur « toutes les avancées sociales », selon des propos rapportés par le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. « C’est l’avenir de l’un des cœurs de notre modèle social qui est en jeu »,a déclaré, de son côté, Mme Borne, mercredi matin, lors de la réunion entre les différents groupes parlementaires de la majorité.

Avant la présentation du texte en conseil des ministres, lundi 23 janvier, et alors que les syndicats, totalement unis, organisent une première journée de manifestation, jeudi 19 janvier, la bataille de l’opinion est entrée dans sa phase la plus active. Une séquence cruciale pour faire passer cette réforme qui mélange « le technique et l’intime », selon un conseiller ministériel.

Les « bons » et les « mauvais » 49.3

Depuis vingt-quatre heures, l’exécutif a donc sonné la mobilisation générale. Mercredi, le président de la République a demandé aux membres du gouvernement de se déployer pour « expliquer aux Français ce qui va changer pour eux », selon un participant au conseil des ministres. Depuis deux jours, les réunions se sont ainsi succédé pour faire monter au front les parlementaires, les élus comme les cadres.

Lors du petit-déjeuner de la majorité, mardi 10 janvier, Aurore Bergé, présidente des députés Renaissance, et Franck Riester, ministre des relations avec le Parlement, ont insisté sur l’importance de bien communiquer sur des exemples précis et des cas particuliers. « Ne nous laissons pas enfermer dans la bataille parlementaire contre l’obstruction des “insoumis” en oubliant de parler aux Français des bénéfices de la réforme », a lancé, mardi, M. Riester lors de la réunion du groupe Renaissance.

Les documents de Matignon dans leur valise et rassurés par le fait que la première ministre a aussi annoncé les mesures plus sociales dès mardi, les parlementaires sont donc priés de convaincre du bien-fondé de la réforme des retraites dans leur circonscription, si possible en organisant des rencontres avec les Français, et de répondre aux sollicitations médiatiques. Une façon de rattraper le retard perdu à l’automne 2022, lorsque les macronistes avaient passé beaucoup de temps utile à débattre sur le meilleur véhicule législatif pour faire passer cette réforme.

« La conquête de l’opinion ne va pas se jouer uniquement dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. On demande à tous nos parlementaires d’animer des réunions publiques », a prévenu Mme Bergé, accompagnée en conférence de presse par les autres présidents des groupes de la majorité : Laurent Marcangeli (Horizons), Jean-Paul Mattei (MoDem) et le sénateur François Patriat (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants). « Les ministres sont à votre disposition », a assuré la locataire de Matignon aux députés, mercredi matin.

Ce travail pédagogique est indispensable avant le rude affrontement parlementaire qui attend la majorité à partir du 30 janvier en commission à l’Assemblée nationale. Si l’opinion bascule d’un côté ou de l’autre, les milliers d’amendements qui seront déposés par les oppositions n’auront pas la même saveur. Et sur ce projet, anxiogène pour des millions de travailleurs et décisif pour la suite du quinquennat, Matignon veut absolument éviter de dégainer le couperet du 49.3. « Il y a des bons 49.3, ceux qui sont compris, acceptés et qui ne génèrent pas de la colère, et des mauvais 49.3, ceux qui enveniment les crispations », décrypte Paul Midy, député (Renaissance) de l’Essonne.

L’article 47.1, moins brutal

Pour le moment, l’atterrissage politique se déroule sans accroc. En choisissant un report de l’âge de départ à 64 ans, et non à 65 ans, et en promettant de revaloriser toutes les pensions minimales à 1 200 euros, Elisabeth Borne a rassuré une partie des députés Les Républicains (LR). Même si la jeune garde de droite doute encore, les voix de LR pourraient sauver la majorité. Eric Ciotti, président du parti, et Bruno Retailleau, président du groupe des sénateurs, seront reçus à Matignon, jeudi matin, afin de s’assurer de leur soutien.

Par ailleurs, le fait que la réforme soit votée dans le cadre d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif (PLFSSR) permet à l’exécutif de passer par l’article 47.1, qui limite la durée des débats (vingt jours à l’Assemblée nationale, quinze jours au Sénat). Si l’examen dans l’hémicycle du Palais-Bourbon piétine, le texte sera envoyé aux sénateurs en l’état. Une sorte de 49.3 moins brutal. « Que ça dérange les oppositions [le recours au PLFSS plutôt qu’à un projet de loi ordinaire], je peux l’entendre, a admis Mme Borne, mardi, lors de sa conférence de presse. Mais vous voyez, c’est dans le cadre d’une conception du débat parlementaire que je trouve assez particulière. Parce que quand on nous dit que chaque ­député de la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale] va déposer mille amendements par principe, je ne pense pas que ce soit avec une volonté d’éclairer les débats. »

Cette procédure permet, par ailleurs, au gouvernement d’aller relativement vite et d’espérer prendre de vitesse le mouvement social si celui-ci s’inscrit dans la durée. Depuis le début de l’année, la plupart des dirigeants de la majorité affirment ne pas croire à un blocage du pays et à des manifestations d’ampleur. « On ne se projette pas là dans l’idée d’une mobilisation massive », a prédit M. Véran, mercredi.

Derrière ces mots, les macronistes continuent de rester prudents et redoutent l’étincelle ou une polémique qu’ils n’auraient pas vu venir, tout en surveillant les « meilleurs amis », toujours prêts à faire entendre leur petite musique. Mercredi, sur LCI, François Bayrou a défendu la réforme, tout en jugeant qu’elle était « améliorable ». Le président du MoDem plaide pour une hausse des cotisations patronales. De son côté, l’ancien premier ministre Edouard Philippe, toujours écartelé entre sa loyauté et ses ambitions futures, rappelle dans Le Point que certains pays européens « comme l’Allemagne ou l’Italie, confrontés aux mêmes problèmes, ont tous choisi d’aller à 65, 66 ou 67 ans ». Un soutien relatif.


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