Le prince daigne se montrer. Après avoir refusé la rencontre demandée par les syndicats et être resté absent du bras de fer législatif autour des retraites, Emmanuel Macron rompt enfin son silence, ce mercredi 22 mars. À ses termes, bien sûr. L’interview, diffusée à 13 heures simultanément sur TF1 et France 2, aura lieu à l’Élysée.« Il fallait un cadre solennel », défend-on au palais. Mais pourquoi cette heure d’écoute, où ce sont essentiellement les retraités qui sont devant leur poste (soit le public le moins défavorable à la réforme) ? Justification lunaire de l’Élysée :« Nous avons fait le choix des territoires, le retour au domicile pour la pause méridienne est une tradition en province. »Voilà qui annonce des digestions difficiles.
Car le président sort du bois, mais pour quoi dire ? Selon nos informations, à l’heure d’écrire ces lignes, Emmanuel Macron ne compte annoncer ni le retrait de sa réforme, ni un remaniement, ni une dissolution, ni le référendum réclamé par les oppositions. Fragilisé par une motion de censure couperet qui l’a manqué de peu, l’exécutif est dans une impasse. Les députés LR lui ont indubitablement sauvé la peau en ne votant pas la censure. Si certains entendent camper dans l’opposition, d’autres envisagent désormais de demander un « accord de gouvernement ». Plusieurs ex-ténors de la Sarkozie, dont Rachida Dati et Jean-François Copé, y sont publiquement favorables (l’ex-président Nicolas Sarkozy, visiteur du soir d’Emmanuel Macron, pourrait jouer les entremetteurs), tout comme le député de la majorité Jean-Louis Bourlanges (Modem).
Une telle hypothèse permettrait de consolider une majorité absolue à l’Assemblée. Mais pas de calmer la colère, qui a passé un cap depuis l’utilisation du 49.3, le 16 mars. Le chef de l’État cherchera sans doute à jouer, à 13 heures, la carte de la nécessité« d’une nouvelle méthode pour gouverner », qui« associe davantage les citoyens »– les députés Renaissance déploient déjà ces éléments de langage depuis lundi. Discours réchauffé et surtout inaudible, qui se heurtera alors aux images qui tournent en boucle, depuis ce week-end, de violences policières contre des manifestants. En plein déni de démocratie, le pouvoir n’a, en dernier ressort, qu’une méthode : la cogne.
Après le mépris, la matraque
Accentuer la répression, jouer le pourrissement afin de diviser le mouvement social et ensuite incarner l’ordre. La combine est connue et le gouvernement use à nouveau de cette stratégie de la tension. Après avoir été ignorée malgré une expression pacifique, la colère populaire monte d’un cran et une partie du mouvement social se raidit pour se faire entendre, tel que prédit par l’intersyndicale. La Macronie, elle, répertorie 1 200 actions non déclarées et s’offusque à la moindre poubelle brûlée, geste que le préfet de police de Paris, Laurent Nunez, qualifie« d’exaction ». Rien que dans la capitale, plus de 800 personnes ont été arrêtées, la plupart relâchées sans la moindre poursuite.
Dans ce contexte, l’exécutif ressort les muscles et les gourdins comme les pelotons de voltigeurs. Le « maintien de l’ordre » a changé de visage depuis une semaine, avec un dispositif policier qui pose question, à commencer par l’utilisation des nasses, que le Conseil d’État juge pourtant illégales. Partout dans le pays, des témoignages et des vidéos font état de nombreuses violences policières : députés gazés à bout portant, gardes à vue arbitraires, coups injustifiés, accusations d’agression sexuelle, journalistes empêchés de travailler…
« Vous faites le choix d’user de la matraque, de la répression syndicale et des réquisitions pour faire taire la contestation », a attaqué Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, face à la première ministre, lors des questions au gouvernement, qu’il accuse d’être à l’origine du« chaos ». La gauche dénonce la répression d’une seule voix, mais les ministres, Élisabeth Borne en tête, la justifient sans vergogne, tout en renvoyant la patate chaude à la Nupes. « Votre violence verbale a débordé dans la rue », a-t-elle lancé à l’insoumise Mathilde Panot. Et la locataire de Matignon de« rendre hommage à nos forces de l’ordre qui assurent la sécurité des manifestations ». De son côté, le préfet de Paris assure qu’il n’y a pas« d’interpellations injustifiées »et dit avoir besoin de« contexte »pour juger d’une vidéo où un policier frappe violemment un manifestant sans l’arrêter ensuite. Jusqu’ici, une seule des exactions policières fait l’objet d’un signalement auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
Réquisitions dans les raffineries
Le face-à-face a fait l’image du jour, ce mardi. D’un côté, les cordons bleu foncé de police déployés en rangs serrés pour permettre à des camions-citernes d’entrer en catimini dans le dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer, où des personnels grévistes ont été réquisitionnés. De l’autre, des centaines de manifestants, arborant en majorité le rouge de la CGT, qui avancent vers le site pour soutenir les personnels en lutte et défendre leur droit de grève.« Il y aura la ligne de la répression et la ligne des hommes et des femmes dignes, debout ! »clame Olivier Mateu, de la CGT Bouches-du-Rhône, en réaction à l’ordre de la préfète de police de réquisitionner trois salariés par quart en vue d’alimenter les stations-service à 40 % à sec dans le département, au tiers ou au quart entre le Gard, le Vaucluse, le Var et les Alpes-de-Haute-Provence. La veille au soir, le terminal pétrolier de Donges, en Loire-Atlantique, avait subi une évacuation manu militari.« Ils sont arrivés sans prévenir avec pour mandat et ordre de taper, pas de nous faire reculer, nous raconte Mathieu Pineau, de la CGT 44.Les jours précédents, on avait réussi à faire reculer deux bateaux. Pour le troisième, ils nous ont déblayés à coups de gaz, de matraques et de Flash-Ball. Je pense qu’on va revenir occuper le site. Mais on a compris à qui on avait affaire : ça a fini de nous faire détester Macron. »
L’efficacité de ces opérations coups de poing – au sens propre – est pourtant très relative.« Que ce soit en Normandie ou dans les Bouches-du-Rhône, les raffineries vont finir à l’arrêt en fin de semaine, excepté à Esso Fos-sur-Mer, d’où il ne sort plus grand-chose, mais où les salariés ne veulent pas arrêter les installations », résume Éric Sellini. Le représentant de la CGT chimie se montre aussi serein en ce qui concerne les ordres de réquisition.« Ils portent sur une durée de 48 heures et sont motivés de façon très vague. On a bon espoir que les juges les retoquent. C’est typique pour casser la grève. »
Face à la jeunesse, encore la force
Il se passe bel et bien quelque chose dans la jeunesse, après une mobilisation en demi-teinte les premières semaines.« Un nouvel élan s’empare des universités. Nous sommes mobilisés en réaction au 49.3 et à la répression constatée dans les cortèges ces derniers jours. On appelle les jeunes à s’allier aux grévistes, à aller sur les piquets de grève », confie Luaine, étudiante à Tolbiac. Le blocage de l’université du Sud-Est parisien a été voté lors d’une assemblée générale (AG) qui a réuni 1 000 personnes (étudiants, professeurs et administratifs), lundi 20 mars. Face à la crainte que la jeunesse ne s’embrase, la première réponse du pouvoir est encore une fois la force. Tolbiac fait office d’avertissement pour toutes les autres universités, qui s’organisent. En réponse au blocage, un important dispositif policier s’est déployé autour du campus. Une manière d’étouffer la contestation par la démonstration de force. Des dizaines d’agents, dont des brigadiers motorisés de la Brav-M, ont bloqué l’entrée de la faculté. Une police agacée de voir la presse débarquer :« Ça sert à rien d’être là, vous n’avez rien à couvrir ici. »
La tension est montée d’un cran lorsque deux étudiants sont parvenus à escalader les grilles et passer de l’autre côté. Une jeune femme a été projetée violemment au sol par la police, du gaz lacrymogène a été employé face à des étudiants. Ils tentaient d’ouvrir un passage pour leurs camarades, entre 100 et 200 personnes, qui souhaitaient rejoindre une nouvelle AG inter-facs. Les étudiants bloqués dénoncent une présence policière disproportionnée et une volonté de rendre la contestation inaudible. Mais la jeunesse compte bien inscrire cette effervescence dans la durée et construire un mouvement puissant. De Tolbiac à Fos, la colère ne désarme pas.